Résumé :
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Cet essai est dicté par une nécessité : explorer, en même temps qu’analyser, ce qu’on a soi-même appelé la non-danse, sillon de l’art chorégraphique apparu à l’aube des années 1990. Ce terme de non-danse, avant tout pratique, a suscité des remous. Et c’est tant mieux. Tant on est prêt, aujourd’hui, à tout absorber sans discussion. A consommer, bouche bée. Provoquer une réflexion, sinon une réaction, un débat pour ou contre, c’est là le rôle du métier de journaliste qui est, on l’oublie trop souvent, de piquer là où ça fait mal. Mais si l’expression de non-danse a été assez souvent reprise, elle a surtout été mal comprise. Certains ont feint de croire que l’on désignait ainsi « ce qui ne serait pas de la danse », donc d’y voir une notion péjorative, comme si notre idée était d’opposer la non-danse à la danse. Pour autant, il ne s‘agit pas de polémiquer. Parce qu’il y a plus important que de s’arrêter à la mauvaise foi, qui est presque une mauvaise conscience. La non-danse est, selon nous, à envisager comme une partie, un développement, une définition, voire une catégorie de la danse contemporaine. Et probablement une sorte de phénomène esthétique récurrent, prenant des formes différentes en fonction des époques.Au vu de ce qui s’est passé ces dix dernières années, on a souhaité éclairer davantage les raisons qui incitent cette non-danse à refuser les codes habituels de la chorégraphie. Comprendre les processus de création qui l’apparentent aux arts visuels. Pressentir les possibilités de son évolution, mais aussi les risques d’impasses. Est-elle danse d’un repli nécessaire, volontaire ? Est-elle un moment privilégié de relance intellectuelle ? Ou à l’inverse de « nullité » au sens où Jean Baudrillard utilise ce terme : « L’art contemporain […] ne connaît plus de transcendance vers le passé ou le futur, sa seule réalité est celle de son opération en temps réel, et de sa confusion avec la réalité. […] C’est en cela que l’art contemporain est nul : c’est qu’entre lui et le monde, c’est une équation à somme nulle. » N’y a-t-il pas risque, là aussi, dans ces lignes extraites du Pacte de lucidité ou l’intelligence du Mal (Galilée, 2004), d’une pensée trop globalisante qui, non étayée par des exemples, rejoint, à son tour, les lieux communs et les débats stériles ? Le plus inattendu dans cette entreprise volatile c’est qu’elle se détricote au fur et à mesure qu’on la tricote. Bref, on croyait avoir l’affaire à peu près en mains, quand on s’est aperçu, très vite, que rien n’était simple, car tout se chevauche, évidemment. Qu’il fallait retourner aux années 1980, et même plus avant, pour saisir la spécificité d’un mouvement qui, à l’instar des arts visuels, privilégie le concept de l’œuvre à l’œuvre elle-même, l’interrogation à la proposition. A la seule différence, mais de taille, que le corps est vivant, qu’il se rebiffe, n’étant pas encore un pur objet biotechnologique. Encore que… Il fallut soudain avancer à grands pas, défricher, coucher sur le papier des impressions, sinon des intuitions. Sachant déjà qu’on n’épuisera pas le sujet, qu’il sera nécessaire, plus tard, d’approfondir en détail les œuvres. Ce qui est un autre travail, assurément plus long, relevant davantage de la démarche de l’historien. Il s’agit ici simplement de tirer des fils. Et de voir là où le tissu tient bon, là où il se déchire. On est parti de notre mémoire visuelle, qui est aussi mémoire affective, et non pas des archives. Les œuvres découvertes, suivies, analysées, les échanges que nous avons avec des chorégraphes, parfois depuis plus de vingt ans, servent de soubassement à un cheminement, chaotique, qui procède le plus souvent par associations d’idées. On sent qu’on brinquebale, que tout est mouvant. Donc, on s’amuse, convaincu que la légèreté favorise la profondeur. Sachant aussi que cette volonté de ne pas plonger dans les archives est un risque. Que l’on prend avec allégresse, n’ayant aucune envie d’écrire, surtout pas, une chronologie de vingt-cinq ans de danse en France et en Europe.
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