Résumé :
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Les rapports avec le monde musulman sont aujourd’hui au centre de la vie de nos sociétés. Mais ces rapports, de fait, restent fondés sur une grande ignorance, d’ailleurs mutuelle. Aussi n’est-il pas inutile de revenir sur cette découverte progressive de la civilisation musulmane et sur ses limites. Pouvez-vous rappeler ses principales étapes ?Henry Laurens. – L’islam est connu en Europe de longue date. Montesquieu ou Voltaire en parlent. Mais ils n’en parlent pas comme d’une civilisation, du fait que l’instrument intellectuel que représente cette notion n’existe pas encore. Le mot de « civilisation » apparaît à la fin du xviiie siècle, dans le contexte de la Révolution française, comme processus historique. On parle de « degré de civilisation ». Il faut attendre, en gros, les années 1820-1830 pour que l’on passe de la civilisation comme processus à la civilisation comme état, avec l’idée qu’il y a des sociétés en quelque sorte retardées et qui sont donc dans des états de civilisation antérieurs à celui dans lequel se trouve l’Europe. De là on passe, vers 1840-1850, à la notion de civilisation arabe ou de civilisation chinoise, autrement dit à un système de catégories qui implique de potentiels conflits de civilisation.
Par ailleurs, la généalogie de l’Europe se met en place parallèlement. La fin du xviiie siècle, chez Condorcet et chez d’autres, avait mis au point ce que j’ai appelé jadis le « club Méditerranée » de l’histoire de la pensée. Les sciences et les arts, la notion dont on se servait avant celle de la civilisation, étaient nés en Égypte…
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