Résumé :
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Venant peu de semaines après La Force des choses [de Simone de Beauvoir], Les Mots de Jean-Paul Sartre détachent, sur le fond sonore assez neutre de cet hiver, le chant profond de l’existentialisme littéraire. Entre les deux ouvrages, les similitudes sont visibles, mais encore superficielles ; et les visées des deux auteurs sont, au fond, très différentes. L’un et l’autre, il est vrai, se retournent complaisamment vers leur passé, ce qui est paradoxal pour les maîtres d’une philosophie qui se veut éminemment prospective, inventive d’un avenir inépuisable ; cessant de se sentir comme projets, comme libertés créatrices d’infinis possibles, ils prennent leurs distances à l’égard d’un moi-objet situé derrière eux et qui ne peut pas être autre chose que ce qu’il a été ; et sans doute ce moi encombrant existe-t-il encore comme une réalité vivante, qui se confronte à leur conscience d’aujourd’hui pour y entretenir, aux approches de la décrépitude pressentie, une mélancolie poignante.
Là est l’analogie ; la différence capitale n’est pas seulement en ce que Simone de Beauvoir raconte les années de sa maturité et Sartre son enfance, mais bien davantage dans l’intention du récit et dans la conception de l’art. La première écrit tout uniment ses mémoires, disant tout – pour autant que l’on dise jamais tout –, livrant du moins suivant une chronologie minutieuse le tout-venant de sa biographie, l’important avec le banal, dans une forme qu’elle veut ordinaire pour faire plus vrai et sans autre souci que de perpétuer par la prose imprimée les circonstances de sa vie et la fresque de son époque. Le second se raconte aussi, mais beaucoup moins qu’il ne s’explique, choisissant ce qui signifie, ayant souci de bien éclairer et de bien dire, se voulant, en somme, philosophe et artiste.
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